La Tora source d’espoir
«Puis Mochè appela Yéhochouâ et il lui dit aux yeux de tout Israël : Sois fort et vaillant, car toi tu viendras avec ce peuple dans le pays que le Seigneur a juré à leurs pères de leur donner et toi, tu leur en feras le partage. Le Seigneur Lui-même, marchera devant toi, il ne te délaissera pas et ne t’abandonnera pas, sois sans peur, ne tremble pas. Mochè mit cette Loi par écrit et il la donna aux Kohanim, fils de Léwi, porteurs de l’arche de l’alliance du Seigneur et à tous les anciens d’Israël(1).»
Mochè achève ses recommandations au peuple d’Israël. Le dernier Chabbat, Mochè, accordant la parole à son disciple Yéhochouâ, entend lui éviter des critiques du genre : «Du temps de ton Maître, Mochè, tu ne pouvais ouvrir la bouche.»
Aussi, pour cette raison, le texte précise-t-il(2) :
«Alors Mochè appela Yéhochouâ et lui dit en présence de tout Israël : «Sois fort et vaillant! Car c’est toi qui entreras avec ce peuple dans le pays que l’Ét’ernel a juré à leurs pères de leur donner, et c’est toi qui leur en feras le partage.»
Mais sentant sa mort proche, Mochè demande à Israël de ne point abandonner D’ieu sous peine de voir la colère divine s’enflammer contre lui. D’ieu l’informe(3) :
«Tandis que tu reposeras avec tes pères, ce peuple se laissera débaucher par les divinités du pays barbare où il va pénétrer, et il M’abandonnera et il brisera l’alliance que J’ai conclue avec lui.»
Pour éviter une telle situation ou du moins pour laisser une porte d’espoir au peuple d’Israël, Mochè ne voit rien d’autre que de lui confier la Tora.
Le Midrache(4) rapporte :
«Nos Maîtres enseignent : Sachant qu’il devait mourir en ce jour, que fit Mochè?
Rabbi Yannaï dit : il écrit 13 rouleaux de Tora, confie douze aux douze tribus et dépose le treizième dans l’Arche. Quiconque désire falsifier la Tora ne le pourrait puisqu’on trouve l’originale dans l’Arche. Mochè se dit : Pendant que je m’occupe de la Tora, essence de la vie, le soleil viendrait à se coucher et, par suite, le décret divin sera nul. Que fit le Saint béni soit-Il? Il fit signe au soleil [de se coucher]. Il refuse avec obstination, disant : je ne me couche point tant que Mochè est de ce monde.
Aussi, Iyob explique-t-il(5) :
«Moi-même n’ai-je pas pleuré sur les victimes du jour?», autrement dit le jour se révolte contre Lui.»
La solution pour le peuple d’Israël, appelé à abandonner D’ieu, est la Tora. Son étude pouvait sauver Mochè de la mort, n’était le décret divin. Mais le symbole est clair. Mochè lui-même eut recours à la Tora. Israël, lui aussi, ne trouvera d’autre refuge plus fort que celui de la Tora.
Aussi, est-ce la signification du geste de Mochè d’écrire la Tora et de la confier à toutes les tribus. Quiconque voudrait l’altérer, qu’à cela ne tienne! La Tora de l’Arche serait là pour lui opposer un démenti.
Ainsi sont les véritables chefs d’Israël. Mochè, au lieu d’apprécier les derniers instants de la vie, pense au bien-être du peuple d’Israël, à son avenir, lui prépare l’espoir vers un avenir meilleur.
Aussi dit-il(6) :
«Et maintenant, écrivez pour vous ce Cantique. Qu’on l’enseigne aux enfants d’Israël et qu’on le mette dans leur bouche, afin que ce cantique me serve de témoignage à l’encontre des enfants d’Israël.»
Puis Mochè appela Yéhochouâ et il lui dit aux yeux de tout Israël : Sois fort et vaillant, car toi tu viendras avec ce peuple dans le pays que le Seigneur a juré à leurs pères de leur donner et toi, tu leur en feras le partage.
Sois fort et vaillant, car toi tu viendras avec ce peuple,
Rachi, sensible au changement entre l’ordre transmis par Mochè à Yéhochouâ, car tu viendras avec ce peuple, et la recommandation de D’ieu à Yéhochouâ, car toi, tu conduiras(7), rapporte :
Mochè dit à Yéhochouâ : Les anciens de cette génération seront avec toi, tout se fera suivant leur opinion et leur avis. Mais le Saint béni soit-Il, dit à Yéhochouâ : Car toi, tu conduiras les enfants d’Israël dans la terre que Je leur ai promise ; tu les amèneras, malgré eux, s’il le faut, tout dépend de toi; si c’est nécessaire, prends un bâton et frappe-les au crâne, un seul guide par génération et non deux.
L’approche de Mochè constitue, avant tout, la volonté d’instituer un système politique consultatif. Il semble étonnant, cependant, que Mochè ait pu envisager un seul instant un tel système. Qui est mieux que Mochè pour savoir combien il pourrait constituer un danger grave pour l’avenir du peuple d’Israël si jamais il faille consulter à chaque occasion les anciens! Jamais on ne parviendrait à un concensus! Est-il possible qu’à la fin de son existence, Mochè se sente usé à ce point par le pouvoir?
En vérité, Mochè fut le premier à réclamer à D’ieu le partage du pouvoir. Non pas qu’il est incapable de diriger le peuple à lui seul, mais il entend, par ce partage, obtenir la collaboration de tous. Par ses représentants, le peuple participe à toutes les décisions.
Sans doute, Mochè, après tant de preuves d’amour, après tant de miracles et prodiges, jouit-il d’un prestige et d’une autorité tels que le peuple n’a d’autre choix que de lui obéir et de collaborer avec lui.
Yéhochouâ, quant à lui, n’ayant pas encore fait ses preuves dans l’exercice de ses hautes fonctions serait, semble-t-il, très vulnérable à telle enseigne qu’il se laisserait aller au jeu des manipulations politiques et de la contestation.
Pour lui, l’essentiel est, au contraire, de montrer ses capacités en matière de décision et d’initiative. Ainsi pourra-t-il gagner la confiance et la collaboration de tout le peuple. Aussi D’ieu lui prescrit-Il d’user des pleins pouvoirs, sans partage, avec fermeté. Pour y parvenir, l’appui divin est absolument nécessaire.
Si Mochè arrive à emporter l’adhésion du peuple, c’est, sans conteste, pour son rôle exclusif dans la transmission de la Tora. Yéhochouâ, quant à lui, s’il mérite de prendre la succession de Mochè, c’est aussi pour son dévouement parfait à la Tora.
Certains exégètes ne trouvent aucune contradiction entre la position de Mochè et celle de D’ieu. Mochè enseigne à Yéhochouâ l’art de conduire le peuple selon le système politique qui fait appel à la consultation. En revanche, D’ieu recommande à Yéhochouâ le principe de la conduite selon la Tora.
D’un côté, le système politique, parce que relatif et soumis aux aléas des événements se doit d’être consultatif. De l’autre, parce qu’elle exprime la vérité absolue, la Tora ne saurait admettre de partage.
Pour Or ha-Hayim, Mochè entend éviter à Yéhochouâ, par l’expression car tu viendras avec ce peuple, l’erreur de croire qu’il est l’artisan de la conquête de Kénaâne. C’est D’ieu qui en est le véritable auteur. Yéhochouâ ne fait qu’entrer à la tête de tous.
Cependant, si D’ieu, Lui-même, dit à Yéhochouâ car toi, tu conduiras, c’est pour exclure tout autre chef que lui à la tête des Bénè Yisraèl.
Kéli Yaqar s’interroge, comme Rachi, sur les différents changements apparaissant entre les propos de Mochè et les paroles divines. Ce qui l’intrigue davantage est comment Mochè ait pu transmettre un ordre contraire à l’ordre divin.
De plus, Mochè parle du pays que le Seigneur a juré à leurs pères de leur donner, et D’ieu souligne plutôt dans la terre que Je leur ai promise et, au lieu de et toi, tu leur en feras le partage, Il précise et Moi, Je serai avec toi.
Mais s’appuyant sur le fait que Mochè s’adresse à Yéhochouâ en présence de tout Israël, ce qui semble impossible à atteindre car tout le peuple ne parviendrait jamais à percevoir les propos de Mochè à Yéhochouâ d’une part et, de l’autre, il lui parle de conduire le peuple au lieu des Bénè Yisraèl, Kéli Yaqar trouve que Mochè, fort de son expérience, recommande à Yéhochouâ d’être ferme et de faire devant le peuple des actes qui l’impressionneraient afin d’affermir sa foi et sa confiance en D’ieu.
Le peuple, étant moins enclin que les Bénè Yisraèl à la foi absolue en D’ieu, a besoin de tels actes pour que Yéhochouâ parvienne à le conduire en Èrèts Yisraèl. C’est justement ce qui avait manqué à Mochè et à Aharone, lors des Eaux de Mériba, si bien qu’ils ne purent pénétrer en Èrèts Yisraèl.
Et le peuple, ne disposant pas d’assez de mérites pour hériter le pays de Kénaâne, ne peut que compter sur la promesse faite à ses pères ainsi que sur le mérite personnel de Yéhochouâ puisque c’est lui qui en fera le partage.
Cependant pour les Bénè Yisraèl dont la foi en D’ieu ne présente aucun défaut, Mochè insiste auprès de Yéhochouâ de ne rien entreprendre sans les consulter.
En revanche, D’ieu parle justement des Bénè Yisraèl qui, parce qu’ils expriment une foi et une confiance indéfectibles en D’ieu, seront toujours disposés à obéir, sans protester, à tous les impératifs de Yéhochouâ.
Sforno dit tout simplement que Mochè fait remarquer à Yéhochouâ le mérite qu’il a de pénétrer dans la terre promise, chose que lui-même n’a pu atteindre.
Le Seigneur Lui-même, marchera devant toi, Il ne te délaissera pas et ne t’abandonnera pas, sois sans peur, ne tremble pas. Mochè mit cette Loi par écrit et il la donna aux Kohanim, fils de Léwi, porteurs de l’arche de l’alliance du Seigneur et à tous les anciens d’Israël.
Le Seigneur Lui-même, marchera devant toi,
Or ha-Hayim trouve, à juste raison, que le pronom personnel hou, est pléonastique.
Cet emploi est, dit-il, nécessaire pour éviter à Israël de croire en sa capacité de vaincre et d’exterminer les ennemis. Excluant le concours de tout autre, l’Ét’ernel sera l’unique soutien de Yéhochouâ dans l’exécution de sa mission.
Mochè mit cette Loi par écrit et il la donna aux Kohanim.
Il n’existe apparemment pas de lien logique entre la nomination de Yéhochouâ à la succession de Mochè et le fait d’écrire la Tora pour la confier aux Kohanim.
La raison de cette juxtaposition, nous semble-t-il, réside surtout dans la nécessité, pour Yéhochouâ, bien que chef suprême d’Israël, de se soumettre à la Tora.
Le recours aux Kohanim, gardiens de la Tora, garantit, à lui seul, la pérennité d’Israël et du règne de Yéhochouâ. Le respect de la Tora confère existence et permanence à Israël. L’abandon signifie également une remise en cause des relations privilégiées d’Israël avec D’ieu.
La Tora écrite à la fois par Mochè et Yéhochouâ renferme donc la possibilité pour le peuple d’Israël, affecté par l’abandon divin, de s’inspirer de toutes ses prédictions afin de revenir sincèrement à D’ieu. Mochè poursuit, au delà de la mort, son oeuvre puisqu’il veille ainsi sur la perfection morale de son peuple et sa sauvegarde.
1. Dévarim 31, 79.
2. Dévarim 31, 7.
3. id. 31, 16.
4. Dévarim Rabba chap. 9. paragr. 3.
5. Iyob 30, 25.
6. Dévarim 31, 19.
7. id. 31, 23.