Mochè interpelle les cieux et la terre
Mochè achève de transcrire les paroles de la Tora transmises à tout le peuple. Appelant les Léwiim, porteurs de l’arche sainte, il leur ordonne(1) :
“Prenez ce livre de la Tora et déposez-le à côté de l’arche de l’Alliance de l’Ét’ernel, votre D’ieu. Il y restera comme un témoin contre toi.”
Pour Mochè, aucun doute n’existe à propos de la fidélité de Âm Yisraèl à D’ieu. Israël sera tenté de s’écarter de la voie de la Tora, d’abandonner D’ieu pour se livrer à l’idolâtrie. Aussi Mochè tient-il à servir des avertissements sévères ayant pour but essentiel de dissuader le peuple de dévier du chemin qu’il lui a tracé. Ainsi s’exprime-t-il(2) :
“Car je sais qu’après ma mort vous irez dégénérant, et que vous dévierez du chemin que je vous ai prescrit; mais il vous arrivera malheur dans la suite des temps, pour avoir fait ce qui déplaît au Seigneur, pour l’avoir offensé par l’œuvre de vos mains!”
Mochè interpelle les cieux et la terre. Il les prend à témoin contre Israël. Ce choix est fait à dessein. Étant des témoins permanents, les cieux et la terre administreront la preuve de l’acceptation, par les Bénè Yisraèl, de l’Alliance de la Tora.
À ce titre, ils seront les premiers à appliquer récompense ou châtiment. Si les Bénè Yisraèl en sont dignes, la vigne donnera son fruit, la terre son produit, et les cieux, leur rosée. Coupables(3), “Il fermera les cieux, il n’y aura point de pluie, la terre ne donnera pas sa récolte.”.
En outre, Mochè interpelle les cieux et la terre car ils n’ont jamais abandonné leur conduite depuis l’acte de la Création. Ainsi le soleil se lève toujours à l’Est et se couche à l’Ouest. La terre ne produira jamais de l’orge si on y a semé du blé. Les Bénè Yisraèl sont donc invités à se conformer, pour leur comportement moral, à l’exemple des témoins.
Par ailleurs, qui veut mentir éloigne, en principe, les témoins éventuels. Mochè ne laisse aucune chance à Âm Yisraèl. Partout où il sera, les témoins seront là pour le démentir. Toujours est-il que Mochè se soucie de l’existence de Âm Yisraèl. Il le veut permanent autant que les témoins qu’il désigne.
Mieux encore, il voudrait voir Âm Yisraèl imposer sa volonté à la Création, aux cieux et à la terre grâce à une conduite morale irréprochable. Le fait même qu’il maîtrise ses tendances pour être docile à D’ieu lui donne le pouvoir d’imprimer ses volontés à toute la Création.
“Écoutez, cieux, je vais parler; et que la terre entende les paroles de ma bouche“, rapporte : c’est ce qu’exprime le texte(6) :
“J’ai reconnu ainsi que tout ce que D’ieu fait restera ainsi éternellement : il n’y a rien à y ajouter, rien à en retrancher : D’ieu a arrangé les choses de telle sorte qu’on Le craigne.” Rabbi Yossi Bèn Zimra dit : Que signifie “il n’y a rien à y ajouter, rien à en retrancher”? Ainsi dit le Saint béni soit-Il au début de la Création du monde(7) :
“Que les eaux répandues sous le ciel se réunissent sur un même point et que le sol apparaisse.” Mais pour quelle raison est-il écrit par ailleurs(8) :
“Celui qui appelle les eaux de la mer et les répand sur la surface du sol – Ét’ernel est Son Nom“? “Afin qu’on Le craigne!“, de telle sorte que toutes les Créatures Le craignent. Cela fait peur à la ville qui se révolte contre son roi. Que fait-il? Il expédie une légion impitoyable, l’assiège de telle sorte que les habitants de la ville, la voyant, le craignent(9).”
Midrache d’une importance capitale. D’ordinaire, on admet que la Création dans son ensemble est immuable. Elle obéit à des lois naturelles qui, une fois établies, le demeurent pour toujours. Ainsi le roi Chélomo envisage qu’il n’y a rien à ajouter ni à retrancher sur tout ce que D’ieu avait créé. Mais Rabbi Yossi Bèn Zimra affirme, se basant sur la prophétie de Âmos, que parfois D’ieu brise les lois naturelles pour amener l’homme à Le craindre.
Il est intéressant de voir que l’exemple de Rabbi Yossi vise non pas l’anéantissement des insurgés mais plutôt de leur inspirer frayeur afin de respecter leur roi. Ainsi D’ieu réagit-Il face aux hommes qui, indociles et désobéissants, s’écartent de la voie qu’Il leur a prescrite.
La crainte de D’ieu est essentielle car c’est là l’unique expression de la liberté de l’homme. Le texte dit(10) :
“Et maintenant, ô Israël! Ce que l’Ét’ernel, ton D’ieu, te demande uniquement c’est de révérer l’Ét’ernel, ton D’ieu, de suivre en tout Ses voies, de L’aimer, de Le servir de tout ton cœur et de toute ton âme.”
La crainte de D’ieu dépend de l’homme alors que tout relève de D’ieu. L’homme décide de sa propre autorité de craindre D’ieu. Mais Rabbi Yossi trouve dans la pensée de Qohèlète la justification à la crainte qu’inspire D’ieu aux hommes. Car sans l’intervention divine qui s’arrange pour corriger les erreurs de parcours, l’homme se complaira dans la révolte et la désobéissance.
Pour le Midrache, D’ieu ne se contente pas de garder son autorité sur la nature qu’Il transforme à Sa guise quand le besoin se fait sentir. Il délègue ce pouvoir à l’homme. Cependant, pour que l’homme puisse agir sur la nature, il lui faudrait faire preuve d’une autorité sur sa propre nature, maîtriser ses tendances, sa sensibilité et ses appétits. L’homme est à l’image du monde. S’il domine son monde personnel, il pourrait dominer dès lors le monde et ses manifestations.
D’ieu avait, lors de la Création, mis une distinction entre le jour et la nuit. L’un devait respecter le domaine de l’autre, éviter toute interférence. Cela revient à dire que l’ordre du monde est respecté. Mais si le désordre moral survient dans la société, nulle raison ne saurait militer en faveur du maintien de l’ordre naturel.
Yaâqov est en fuite. Êssaw tente de le tuer. Mais D’ieu veille sur le tsaddiq. Le fait de protéger Yaâqov, de le retenir auprès de Lui, fût-il même au prix de précipiter la nuit, de transformer le jour en nuit, signifie les intentions criminelles de Êssaw dont le but visé est d’assombrir le monde en le privant de la présence de Yaâqov.
Pour Yéhochouâ, la conquête de Kénaâne signifie la substitution d’un régime idolâtre et impie par un régime de justice sociale obéissant aux prescriptions de D’ieu. C’est là la signification de retenir le soleil pour empêcher la nuit d’assombrir l’éclat de la clarté de la Tora.
Le jour et la nuit constituent ainsi les deux pôles essentiels à la vie active et morale de l’homme.
La conduite morale de l’homme entraîne la transformation de la nature. Mochè ordonne à la mer et se transforme en terre ferme. On se souvient des difficultés qu’oppose la mer pour se laisser diviser. Les Bénè Yisraèl ne sont pas plus parfaits que les Égyptiens car “De même que ceux-ci sont idolâtres, ceux-là le sont également”. Pour quelle raison la mer devrait-elle obéir à Mochè qui lui fut créé le sixième jour alors que la mer, elle, fut créée le deuxième jour.
Mais Mochè montre que les Bénè Yisraèl présentent tout de même l’avantage de recevoir la Tora sur le Mont Sinaï.
Pour la même raison, Èlichâ remplit la vallée d’eau. Quand bien même le roi Ah‘ab ne mériterait pas que la terre se remplisse d’eau parce que c’était un roi impie et idolâtre, Yéhochafat, son allié, était lui un roi juste et bon. Il justifie, lui, ce miracle.
Èliyahou prive tout le royaume d’Ah‘ab de pluie pendant trois ans. Il punit de famine et de sécheresse tout ce royaume idolâtre et impénitent. La pluie est une bénédiction du ciel qui récompense l’obéissance aux prescriptions divines et à la Tora, comparée à l’eau.
Mais Chémouèl agit de manière différente. Chémouèl estime que la démarche d’Israël de réclamer l’instauration de la royauté vise plutôt l’éloignement de D’ieu. Il se sent contesté en tant que chef spirituel d’Israël puisque le peuple demande un chef temporel. Chémouèl signifie par la pluie à un moment où sa présence nuirait aux récoltes, que le peuple s’écarte de la Tora, de D’ieu et de son prophète.
Cette pluie fera prendre conscience au peuple de la gravité de sa faute et réaliser ainsi un retour vers la Tora.
Enfin Mochè fait taire les cieux et la terre, créés pour entonner des louanges à D’ieu. La manière dont les cieux et la terre expriment des louanges est d’obéir aux lois que D’ieu leur a imprimées depuis la Création. Ne pas changer le cours de leur service quotidien est en soi une louange à D’ieu. Le Mizmor 19 des Téhillim est un hymne à la Création. Ainsi(11) :
“Sur toute la terre [pourtant] s’étend leur harmonie, et leurs accents vont jusqu’aux confins du monde, là où D’ieu a assigné une demeure au soleil.”
Continuer à servir D’ieu sans prendre en compte le comportement moral de l’homme, voilà qui peut déranger Mochè. Les cieux et la terre sont certes responsables parce que D’ieu leur a assigné cette mission de l’existence du monde. Une seule loi vient à changer et le monde entier bascule vers le néant. La seule possibilité est de suspendre le cours de ces phénomènes, non de les changer, afin d’attirer l’attention sur les méfaits de l’homme.
Mochè intime l’ordre aux cieux et à la terre de se taire. Ainsi Israël saurait, par ces témoins, que sa conduite nécessite amendement et un retour vers D’ieu.
Ce cantique est le dernier message de Mochè. Tout le destin d’Israël s’y trouve inscrit. Certes la désobéissance d’Israël justifie la colère de D’ieu! Mais cette colère n’est pas dévastatrice. Grâce à elle, D’ieu retrouve de nouveau son peuple pour lui exprimer de nouveau son amour et sa préférence.
1. Dévarim 31, 26.
2. id. 31, 29.
3. Dévarim 11, 7.
4. Dévarim Rabba chap. 10, paragr. 2.
5. Dévarim 32, 1.
6. Qohèlète 3, 14.
7. Bérèchit 1, 9.
8. Âmos 5, 8.
9. cf. Voir le chapitre précédent pour la suite de ce midrache.
10. Dévarim 10, 12.
11. Téhillim 19, 5.